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Mes parents peuvent-ils me déshériter ?

Mariem Karoui
Mariem Karoui
24
/
09
/
2024
6 min
Stylo plume pour déshériter ses enfants

Avec l’évolution des modes de vie, l’éloignement familial ou parfois à cause de conflits personnels, certains parents ne souhaitent plus transmettre leur patrimoine à leurs enfants. Ils préfèrent privilégier d’autres proches ou même parfois des associations qui leur tiennent à cœur. Mais dans les faits, qu’est-il possible de faire en France ? Peut-on réellement écarter ses enfants de la succession ? Sinon existe-t-il des moyens de privilégier malgré tout d’autres personnes que ses enfants ?

Le respect de la réserve héréditaire

En France, la loi protège certains héritiers dits réservataires. À ce titre, la loi leur réserve une partie des actifs transmis lors d’une donation ou d’une succession. Il n’est donc pas possible de contourner ce qu’on appelle la « réserve héréditaire », régie par les articles 912 à 917 du Code civil.

Qui sont les héritiers réservataires ?

Il s’agit uniquement des descendants du défunt (enfants et petits-enfants en cas de prédécès des enfants). Lorsque le défunt n’a pas d’enfant, son conjoint est assimilé à un héritier réservataire.

À quoi correspond cette réserve ?

Tout dépend du nombre de descendants :

- En l’absence d’enfants : le conjoint reçoit automatiquement 25% des biens ;

- En présence d’un enfant unique : l'enfant reçoit automatiquement 50% des biens ;

- En présence de deux enfants : chaque enfant reçoit automatiquement 33% des biens ;

- En présence de trois enfants : chaque enfant reçoit automatiquement 25% des biens ;

- Etc...

Quelles sanctions en cas de non-respect de la réserve héréditaire ?

Si le défunt n’a pas respecté la limite de la réserve et a trop transmis à d’autres héritiers, les héritiers lésés vont pouvoir demander à ce que les libertés réalisées soient « réduites » : on parle d’action en réduction. Ils pourront ainsi récupérer la quote-part qui leur ait dû.

Comment contourner la réserve héréditaire ?

1. L’assurance vie

Il est fréquent que l’on entende dire que l’assurance vie est « hors succession », ce qui est vrai pour les primes versées avant les 70 ans du souscripteur. En effet, en cas de décès, son contrat va se dénouer au profit des personnes qu’il aura désignées dans sa clause bénéficiaire (« les bénéficiaires ») et les capitaux perçus vont être traités fiscalement selon un régime propre, différent de celui de la dévolution successorale légale. Si cela est vrai sur le plan fiscal, cela l’est également sur le plan civil : ainsi il n’y a pas de notion d’héritier ou de réserve héréditaire avec l’assurance vie. Les bénéficiaires désignés dans la clause peuvent être n’importe qui (à quelques exceptions près) : membre de la famille, ami, voisin, association, fondation. Les enfants peuvent donc tout à fait être écartés grâce à l’assurance vie.

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Il existe toutefois des tempéraments et les héritiers peuvent tout de même intenter des actions sur différents fondements :

- Action fondée sur l’insanité d’esprit du souscripteur (difficile à prouver) ou sur la clause immorale ou illicite de la désignation (discrimination raciale par exemple).

- Action fondée sur la qualification de primes « manifestement exagérées » : il n’existe pas de définition légale, il s’agit surtout d’une appréciation des juges via un faisceau d’indices, qui va considérer que le souscripteur a volontairement « vidé » son patrimoine pour le reporter sur les assurances vie. Néanmoins dans la pratique, peu de jurisprudences ont donné raison à cette action à ce jour.

- Action fondée sur la requalification du contrat en donation déguisée ou indirecte.

2. Le présent d’usage

Les présents d’usage ont été définis par la Cour de cassation en 1988 comme « les cadeaux n'excédant pas une certaine valeur qui sont faits à l'occasion de certains évènements et conformément à un certain usage, éléments qui doivent être relevés par les juges du fonds ».

Pour ne pas être requalifié en don manuel, le présent d’usage doit répondre à certaines conditions :

- Il doit être remis « de la main à la main »,

- Il doit être octroyé à l’occasion d’un évènement de type anniversaire, mariage, remise de diplôme, fête de fin d’année, ...,

- Il ne peut porter que sur des biens meubles (véhicule, bijou, espèces, virement, ...),

- Enfin, sa valeur doit rester modeste par rapport au patrimoine du donateur (apprécié à la date du présent). Même si la loi ne définit pas de pourcentage précis, il est souvent admis de ne pas excéder 2% du patrimoine ou 2,5% des revenus annuels.

Au moment de la succession de celui qui a octroyé le présent d’usage, ce dernier n’est par principe pas pris en compte, à l’inverse des dons manuels, pour la mise en œuvre des règles du rapport et de la réduction.
Ainsi, le présent d’usage n’est pas réintégré dans la masse de calcul de la réserve héréditaire. Les héritiers réservataires qui s’estiment toutefois « lésés » par des présents d’usage qui auraient été faits par leurs parents à des « tiers » peuvent tenter des actions afin de faire requalifier le présent en donation. Ils doivent alors pouvoir démontrer que les quatre conditions citées plus haut ne sont pas remplies.

Parent qui déshérite son enfant

3. Le testament (legs de la quotité disponible)

Dans la succession, tout ce qui ne constitue pas la réserve héréditaire se nomme « quotité disponible ». Il s’agit de « ... la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ». Généralement, cette quote-part est transmise au conjoint. En l’absence de conjoint, le défunt peut avoir choisi, non pas de déshériter un enfant, mais d’en avantager un au détriment d’un autre. Il aura alors pensé à rédiger un testament au sein duquel il « lègue » la quotité disponible à son enfant « préféré ». En présence de deux enfants par exemple, la quotité disponible est égale à 1/3. L’enfant « préféré » va donc recevoir grâce au testament 33% de la succession en plus par rapport à son frère ou sa sœur. L'avantage de cette option, est qu'elle est difficilement contestable, chaque héritier recevant sa part minimale prévue par la loi (réserve héréditaire).

4. La vente en viager

La vente en viager permet d'obtenir un capital immédiat (appelé « bouquet ») et/ou des revenus réguliers (ou « rente ») tout en conservant la jouissance de son logement. Le vendeur est libre de céder le bien dont il est propriétaire sans l’autorisation de ses enfants (sauf en cas d’indivision ou démembrement avec eux évidemment). Ainsi, au décès du vendeur, le bien en viager ne fait plus partie de son patrimoine puisqu’il a été converti en rente viagère. Par conséquent, il n’y a pas lieu de faire appliquer le respect de la réserve héréditaire sur cet actif. Il s’agit donc bien d’un moyen de faire sortir un bien immobilier du patrimoine et donc de « déshériter » ses enfants.

5. L’expatriation

La notion de résidence habituelle

Depuis 2015, les règles de conflit de lois en matière successorale dont régies un règlement européen (Règlement UE n°650/2012) qui stipule que la législation applicable sur l’héritage est celle du pays de “résidence habituelle” du défunt, qu’il soit en Europe ou dans le reste du monde. Le défunt peut également choisir de faire appliquer la loi de sa nationalité (France par exemple). Ce règlement ne concerne que les règles civiles (répartition des biens aux héritiers) et non les règles fiscales. Ainsi, puisque c’est la résidence habituelle qui est le critère de référence, à première vue, il suffit de vivre dans un pays où la notion de réserve héréditaire n’existe pas. C’est le cas de la plupart des pays anglo-saxons, à l’inverse des pays de droit romano germanique tels que le Portugal ou encore l’Italie.

Tempérament au respect stricto sensu de la loi étrangère

En cas de contestation de l’application de la loi étrangère par des héritiers « lésés », le juge français peut refuser d'appliquer la loi étrangère si elle est contraire à l'ordre public. Mais jusqu’alors, il était rare que les juges considèrent que le principe de la réserve héréditaire doit être protégé par l’ordre public international français. Ils appliquaient donc généralement la loi étrangère. Cependant, en 2021, une loi française est venue mettre en place nouveau prélèvement compensatoire, qui permet aux enfants, bénéficiaires d’une succession soumise à une loi étrangère ne reconnaissant pas de mécanisme réservataire, de prélever sur les biens situés en France, un part égale à celle dont ils auraient pu bénéficier grâce à leur réserve en France. Ce dispositif s’applique lorsque le défunt ou l’un de ses enfants est ressortissant ou réside habituellement dans un État membre de l’Union Européenne au moment du décès. Ce texte étant très récent, à ce stade, il n’y a pas encore de jurisprudence notable permettant d’analyser sa portée concrète, mais dans tous les cas, il s’agit d’une prise de position surprenante au regard de la jurisprudence passée. Seule solution donc pour continuer de contourner la réserve héréditaire en cas d’expatriation : ne pas s’installer dans un pays qui reconnaît ce mécanisme, et ne pas détenir d’actifs en France.

L’exclusion d’un enfant de la succession peut, dans certains cas, être justifiée par son comportement. On parle alors d’indignité successorale.

Qu’est-ce qu’un comportement indigne ?

L’indignité successorale est une exception au principe de la réserve héréditaire, et elle est soumise à des critères stricts. Il n’est pas possible de déshériter un enfant pour de simples disputes, des divergences d’opinions ou une absence de contact prolongée.

Le Code civil encadre de manière rigoureuse les situations où un héritier peut être automatiquement considéré comme indigne, notamment en cas de condamnation. Par exemple, si un enfant a été « condamné pour avoir volontairement causé ou tenté de causer la mort du défunt, ou encore pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » (article 726 du Code civil), il peut être reconnu comme indigne.

Dans ces cas, les juges du Tribunal judiciaire, là où la succession s'ouvre, doivent prononcer non seulement la condamnation, mais aussi le caractère indigne de l’héritier.

Cas où l'indignité peut être prononcée

Le Code civil prévoit également des situations où l’indignité peut être reconnue, sans qu’elle soit automatique. L’article 727 mentionne plusieurs cas de figure, notamment lorsque l’héritier a été :

  • Condamné pour avoir, en tant qu’auteur ou complice, tenté de donner la mort ou commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
  • Condamné pour avoir commis des actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt (nouveauté de la loi du 30 juillet 2020).
  • Condamné pour avoir témoigné de manière mensongère contre le défunt dans une affaire criminelle.
  • Volontairement omis d’empêcher un crime ou un délit portant atteinte à l’intégrité physique du défunt alors qu’il pouvait intervenir sans danger pour lui-même ou pour autrui.

Dans ces cas, l’indignité doit être demandée et prononcée par le juge à la suite d’une requête déposée par les autres héritiers dans les six mois suivant le décès ou la condamnation de l’héritier fautif (article 727-1 du Code civil). L’accompagnement d’un avocat en droit des successions est essentiel pour défendre vos droits et assurer une représentation efficace devant les tribunaux.

Quelles conséquences pour un enfant reconnu indigne ?

Un enfant reconnu indigne se voit exclu de la succession. Il perd tout droit en tant qu’héritier réservataire et doit restituer les avantages éventuellement perçus après l’ouverture de la succession. Toutefois, si le défunt a rédigé un testament dans lequel il exprime clairement son souhait de maintenir l’enfant indigne dans la succession, celui-ci pourra conserver ses droits.

Depuis 2001, les descendants de l’enfant indigne peuvent hériter à sa place. Ainsi, les petits-enfants ne sont pas pénalisés par les actions de leur parent. Si ces descendants sont mineurs, leurs parents indignes ne peuvent toutefois pas bénéficier de l’usufruit des biens qu’ils héritent. En l'absence de descendants, la part de l’héritier indigne est redistribuée entre les autres héritiers.

Enfin, l’indignité n’est valable que pour la personne envers laquelle l’héritier s’est montré indigne. Il pourra donc hériter d’autres membres de la famille, à condition de ne pas avoir eu un comportement répréhensible à leur égard.

L’indignité successorale est un processus complexe qui nécessite souvent une expertise juridique. Faire appel à un avocat spécialisé en droit des successions est crucial pour naviguer ces situations et garantir que vos droits ou ceux de vos proches soient protégés.

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Mariem Karoui
Ingénieur Patrimoniale
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