Comment déshériter un enfant : solutions d'ingénierie patrimoniale et limites

Priscilia Massicot
Priscilia Massicot
25
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11
/
2025
7 min
 Les stratégies d'exclusion d'héritage peuvent ressembler à une partie d'échecs.

La liberté de disposer de ses biens se heurte en France à un principe d'ordre public séculaire : la réserve héréditaire. Contrairement aux juridictions anglo-saxonnes où la liberté testamentaire est totale, le droit français impose qu'une fraction du patrimoine revienne obligatoirement aux descendants. Pourtant, face à des situations familiales conflictuelles, la volonté de déshériter un enfant ou de déshériter un membre de sa famille devient une problématique récurrente en gestion de fortune. Si l'exclusion frontale est juridiquement impossible sur le sol français, une ingénierie patrimoniale rigoureuse permet de réduire la part réservataire à sa plus simple expression, voire de l'anéantir via des leviers internationaux.

Comprendre la réserve héréditaire pour mieux déshériter

Avant d'envisager les solutions de contournement, il est impératif de maîtriser la mécanique de la contrainte. La loi française ne protège pas le patrimoine en valeur absolue, mais en valeur relative au jour du décès.

Le calcul de la réserve héréditaire

Le Code civil (articles 912 et suivants) divise la succession en deux masses distinctes. La première est la réserve héréditaire, intouchable et destinée aux enfants. La seconde est la quotité disponible, dont le testateur dispose librement.

L'équation est inflexible :

  • Un enfant : 50% du patrimoine est réservé.
  • Deux enfants : 66% (2/3) du patrimoine est réservé.
  • Trois enfants et plus : 75% (3/4) du patrimoine est réservé.

L'objectif de toute stratégie de contournement consiste donc non pas à attaquer ce taux, mais à réduire l'assiette de calcul (la masse des biens existants au décès) sur laquelle ce taux s'applique.

L'ordre public français : une protection territoriale

La réserve héréditaire est un principe d'ordre public territorial. Cela signifie qu'elle s'applique impérativement aux successions ouvertes en France et aux biens immobiliers situés en France. Cette territorialité constitue la faille principale du système : si le patrimoine et la résidence du défunt sortent du spectre juridique français, la protection des héritiers s'effondre. C'est sur ce pivot que reposent les stratégies d'expatriation.

Stratégie de contournement domestique : sortir les actifs de la succession

Sans quitter le territoire national, il est possible d'organiser une "érosion légale" du patrimoine transmissible. L'idée est de transformer des actifs successoraux en capitaux hors succession.

L'assurance-vie comme outil de diminution de la succession

L'assurance-vie demeure l'outil de prédilection pour avantager un tiers au détriment des héritiers réservataires. En vertu de l'article L132-13 du Code des assurances, le capital décès versé au bénéficiaire ne fait pas partie de la succession. Juridiquement, ces sommes échappent au calcul de la réserve.

Toutefois, cette stratégie possède une ligne de crête : les "primes manifestement exagérées". Si les juges estiment que les versements ont été excessifs au regard des facultés du souscripteur au moment du versement, ils peuvent ordonner la réintégration des primes dans la succession. Pour sécuriser l'opération, il convient de démontrer l'utilité patrimoniale du contrat (revenus complémentaires, protection du conjoint) et de lisser les versements dans le temps.

La "terre brûlée" patrimoniale : viager et consommation de capital

La méthode la plus radicale pour déshériter un enfant reste la consommation intégrale du patrimoine. La réserve héréditaire s'applique sur les biens existants au jour du décès. Si l'actif est nul, la réserve est nulle. La vente en viager permet de convertir un stock (immobilier réservé) en flux (rente viagère consommable). En cédant son bien immobilier contre un bouquet et une rente, le propriétaire "monétise" son héritage de son vivant. S'il dépense ces liquidités (voyages, hôtellerie, donations manuelles non rapportables faute de preuves), l'actif successoral se vide légalement. C'est une stratégie de dilution irréversible.

Le levier international : s'expatrier pour déshériter

Pour les patrimoines importants, la solution la plus efficace réside dans la mobilité internationale. Elle permet de s'affranchir totalement du Code civil français.

Viser un pays de Common Law en résidence habituelle

Depuis le 17 août 2015, le Règlement européen sur les successions permet à un citoyen de choisir la loi de l'État de sa résidence habituelle pour régir l'ensemble de sa succession (mécanisme de la professio juris). Concrètement, en s'installant dans un pays de Common Law qui ignore la réserve héréditaire (États-Unis, Royaume-Uni), il devient possible de rédiger un testament déshéritant totalement ses descendants. Cette stratégie est parfaitement valide aux yeux du droit international privé, à condition que la résidence dans le pays étranger soit réelle, durable et non fictive.

Neutraliser le droit de prélèvement compensatoire de 2021

Face à l'exil successoral, la France a réagi par la loi du 24 août 2021. Ce texte instaure un "prélèvement compensatoire" : si une loi étrangère prive un enfant de sa réserve, ce dernier peut prélever l'équivalent de sa part sur les biens du défunt situés en France.

La parade technique : Pour rendre ce prélèvement inopérant, il est impératif de ne détenir aucun bien en France au jour du décès. La stratégie internationale exige donc une liquidation totale des actifs français (immobiliers et bancaires). Si le défunt réside en Californie et que l'intégralité de son patrimoine est située aux États-Unis, le notaire français ne dispose d'aucun levier de compensation. L'enfant est alors, de fait et de droit, totalement déshérité.

Ingénierie sociétaire : transformer l'immobilier en valeurs mobilières

La détention directe d'immobilier est le talon d'Achille de toute stratégie d'éviction. L'interposition de structures sociétaires permet de modifier la nature juridique des biens.

La SCI comme outil de "meublisation"

En droit international privé, la succession immobilière est souvent régie par la loi du lieu de situation de l'immeuble (lex rei sitae), tandis que la succession mobilière suit la loi du domicile du défunt. Apporter des immeubles à une Société Civile Immobilière (SCI) transforme un bien immobilier en parts sociales (biens meubles). Si le détenteur des parts est domicilié dans un pays sans réserve héréditaire, ces parts peuvent, selon les conventions internationales, échapper à la loi française. Cette "meublisation" complexifie considérablement les recours des héritiers réservataires.

La tontine avec pacte d'accroissement

La tontine est un contrat aléatoire et non un outil successoral. Lors de l'achat d'un bien (souvent via une SCI ou en indivision avec clause d'accroissement), les acquéreurs conviennent que le survivant sera considéré comme ayant été le seul propriétaire du bien dès l'origine. Le bien ne transite jamais par le patrimoine du défunt : il n'y a pas de transmission, donc pas de succession, et par conséquent pas de réserve héréditaire. C'est un outil redoutable pour transmettre un actif au conjoint ou à un concubin en excluant les enfants d'un premier lit.

Synthèse stratégique

L'exclusion d'un héritier réservataire demande une anticipation rigoureuse. Voici le comparatif des leviers selon leur efficacité et leur complexité.

Levier stratégiqueEfficacité sur la réserveComplexité de mise en œuvreRisque juridique
Assurance-vieMoyenne (dépend des montants)FaibleMoyen (Primes exagérées)
Vente en ViagerHaute (liquidation de l'actif)MoyenneFaible (si prix marché)
Expatriation (USA/UK)Totale (si 0 actif en France)Très HauteMoyen (Loi 2021)
Pacte TontinierTotale (sur le bien visé)MoyenneFaible
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Comment déshériter un enfant n'est pas une question de possibilité théorique, mais d'organisation patrimoniale. Si la loi française ferme la porte, le droit international et l'ingénierie financière ouvrent des fenêtres, à condition d'agir bien avant l'ouverture de la succession.

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FAQs

Est-il possible de déshériter un membre de sa famille totalement ?

En France, on ne peut pas déshériter un enfant (héritier réservataire). En revanche, on peut déshériter tout autre membre de la famille (frères, sœurs, cousins) ou le conjoint (sous conditions) par simple testament. Pour déshériter un enfant, seule l'expatriation dans un pays sans réserve héréditaire (comme les USA) permet d'atteindre cet objectif, à condition de ne laisser aucun bien en France.

Comment fonctionne l'assurance-vie pour réduire la part des héritiers ?

Les capitaux transmis via une assurance-vie sont considérés "hors succession" selon l'article L132-13 du Code des assurances. Ils ne rentrent pas dans le calcul de la réserve héréditaire. Cela permet de transmettre une part importante de son patrimoine à un tiers. Attention toutefois aux "primes manifestement exagérées" qui peuvent être contestées en justice.

La loi de 2021 empêche-t-elle vraiment de déshériter ses enfants via l'étranger ?

La loi du 24 août 2021 permet à un enfant déshérité par une loi étrangère de réclamer sa part sur les biens situés en France. Cependant, si le défunt a vendu tous ses biens français avant son décès et ne détient que des actifs à l'étranger, cette loi devient inefficace car il n'y a plus d'assiette de prélèvement en France.

Qu'est-ce que l'indignité successorale ?

C'est le seul cas légal où un enfant est automatiquement privé de son héritage. Cela concerne des situations très graves (meurtre ou tentative de meurtre sur le parent, coups et blessures ayant entraîné la mort). C'est une sanction pénale et civile, non un choix du parent.

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Priscilia Massicot
Conseillère patrimoniale
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